Le Centre Saint Irénée a 50 ans
Lors de la célébration du cinquantenaire du Centre Saint-Irénée le Père René Beaupère a prononcé l''homélie ci-dessous. ', '
Prédication du Père René Beaupère durant la célébration œcuménique
Notre célébration a commencé par un cantique bien connu « Seigneur, rassemble-nous... ». Nous la terminerons par un autre cantique de la même musicienne : « Gloire à toi Jésus-Christ... ».
Ce choix mérite une brève explication, que j''emprunte à la préface du recueil dans lequel ces chants ont paru pour la première fois il y a 41 ans. J''écrivais :
Ces chants sont nés d''un pèlerinage œcuménique en Terre Sainte. Des chrétiens, protestants et catholiques, ont parcouru ensemble, Bible en main, les routes de l''Ancien et du Nouveau Testament. Ils ont mis leurs pas dans les pas du Christ, des prophètes, des apôtres.
Au long des routes, ils ont prié ; au long des routes, ils ont chanté. Mais, après avoir partagé, en frères, leurs cantiques et leurs psaumes, après les avoir appris les uns aux autres, ils ont rêvé d''un chant nouveau. C''est alors que, parmi eux, Dominique Ombrie se leva.
Ces chants d''unité sont offerts par elle à tous les protestants et à tous les catholiques. Qu''ils chantent d''un cœur unanime leur joie de lire le même Evangile et de le vivre ensemble ! Qu''ils chantent aussi leur souffrance de ne pouvoir, dans une Eucharistie unique, communier tous au Corps du Christ ! Qu''ils chantent surtout leur espérance d''avancer pas à pas sur la route qui conduira un jour, s''il plaît à Dieu, à l''unité parfaite de tous les disciples du Christ Jésus !
L''harmonie inter-confessionnelle de ces nouveaux cantiques fait comme écho au fragment de l''Epître aux Ephésiens que nous venons d''écouter : il y a un seul corps et un seul Esprit..., un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et père de tous.
Pourquoi donc pas une seule et même note dans notre chant ? Parce que ce Père unique accorde à chacune et à chacun d''entre nous une grâce propre, une grâce spécifique : le texte biblique l''affirme aussi. Si bien que nous pouvons chanter chacun notre note, mais dans un même cantique, une unique symphonie.
Un de mes frères dominicains de la région - il vivait au XIIIème siècle - Humbert de Romans estimait que « la variété est la mère et l''origine de la discorde ». Plutôt qu''à ce collègue dominicain (qui a d''ailleurs écrit, sur ce sujet même, des choses plus judicieuses dans un rapport préparatoire au concile général de Lyon en 1274), je préfère me référer ce soir à un contemporain, le cardinal Walter Kasper. En décembre dernier, le Président du Conseil Pontifical pour la Promotion de l''Unité Chrétienne rappelait à un auditoire orthodoxe d''Europe de l''Est que, s''il y eut dès les origines de l''Eglise, plusieurs schismes, ceux-ci furent toujours surmontés. Il ajoutait : « Par exemple, deux célèbres Pères de l''Eglise qui nous sont communs, Irénée de Lyon au 2ème siècle et Maxime le Confesseur au 7ème siècle furent artisans de paix entre l''Orient et l''Occident en défendant, au sein de l''unité dans la foi, une légitime diversité ».
Je m''en tiendrai à notre Irénée, dont nous avons déjà écouté un texte superbe. J''ajouterai maintenant qu''il a su heureusement tempérer naguère le zèle uniformisateur de l''évêque de Rome, Victor, en ce qui concernait le jour de la rupture du jeûne de Carême et donc le jour de Pâques. Notre 2ème évêque de Lyon a contribué ainsi à sauver l''unité entre Rome et les frères d''Asie ; il a fait comprendre à son collègue Victor que la différence du jeûne - disons plus largement, la différence des coutumes - non seulement ne détruit pas l''accord de la foi, mais le confirme. Il l''écrit textuellement.
Cet événement du 2ème siècle m''est revenu en mémoire cet été : j''ai médité cet enseignement libérateur en croisant sans cesse, quatre jours durant, l''une des participantes de notre Rassemblement Mondial de Foyers Mixtes à Rome. Elle avait traduit Saint Irénée en français d''aujourd''hui et proclamait fièrement par une belle inscription sur son T-shirt blanc : « La différence est cette chose merveilleuse que nous avons tous en commun ».
Voici qui nous permet de faire le saut jusqu''à la page d''Evangile proposée ce soir à notre méditation. Le berger de Saint Jean n''est pas le gardien qui enferme les brebis, toutes les brebis, dans un unique bercail. Le bercail n''est qu''un enclos provisoire pour passer la nuit. Le vrai berger, celui qui entre par la porte, éveille les brebis au petit jour : elles connaissent sa voix. Il les appelle chacune par son nom et les conduit hors de l''enclos vers les hauteurs.
Certaines brebis ont passé la nuit dans un deuxième enclos, peut-être dans un troisième plus lointain. Mais elles appartiennent toutes au berger qui les invite à le suivre. Il les rassemble, non pour les enfermer, mais pour leur donner la liberté et les faire respirer au grand souffle des verts pâturages.
Depuis 50 ans, le Centre Saint Irénée s''est efforcé de mettre ses pas dans les pas du berger libérateur. Et le groupe d''hommes, de femmes et d''enfants libres a grossi peu à peu jusqu''à devenir un grand peuple bigarré dont nous avons, dans cette chapelle, un modèle réduit ... un grand peuple bigarré qui s''essaie à chanter le chant nouveau, chacun apportant sa note propre et celle de sa tradition familiale et ecclésiale.
Il m''arrive, passant par la Place Bellecour, de m''arrêter devant le beau monument dressé à la mémoire du plus célèbre lyonnais du XXème siècle. L''homme que je contemple n''était pas un saint à mettre en niche, malgré le beau nom qu''il portait : plutôt un pécheur, je l''espère pardonné, comme nous le sommes tous, ainsi que nous l''a rappelé Martin Luther après Saint Paul. L''homme assis au sommet de ce monument m''invite à lever la tête, à regarder plus haut, à rêver d''étoiles au rire cristallin.
Quelquefois - je sais bien qu''on me reprochera de mélanger les genres - je retrouve dans cet appel vers plus haut, comme un écho de ce qu''un autre lyonnais m''a appris : à savoir qu''il convient de « survoler » les problèmes, c''est-à-dire non pas de les ignorer, ni de les mépriser, mais de les regarder de plus haut, au lieu de nous casser tous ensemble le nez dessus, aveuglés que nous sommes par la myopie de nos trop savantes théologies.
Le second de ces lyonnais m''a enseigné, je crois - mieux que la physique et la chimie - à écouter les frères, tandis que le premier m''invite, par toute son œuvre et sa vie, à créer des liens avec ces frères, afin que naissent et se consolident des nœuds de relation, dont le Centre Saint Irénée est un modeste exemple.
Rêveur que je suis, me voici peut-être en train de vous attirer loin de l''œcuménisme, dont le Centre Saint Irénée a fait pourtant sa raison d''être. Oui, très loin, si nous concevons à tort l''œcuménisme comme l''effort obstiné, mais voué à l''échec, de faire entrer chacun de nos frères, chacune de nos sœurs dans le monde de ma pensée, de ma vision des choses, de ma communauté ou de ma congrégation, de mon Eglise...
Mais tout près de l''œcuménisme, s''il consiste (comme nous le croyons tous ici, je l''espère) à nous rassembler, un et divers, autour du vrai berger qui nous conduit tous aux pâturages célestes. Rude montée, certes, au cours de laquelle, écoutant le berger, il nous faut simplifier notre regard, creuser notre cœur, convertir notre intelligence... Mais montée au terme de laquelle, en franchissant la Porte, nous découvrirons, émerveillés, tous ensemble, qu''il n''y a vraiment qu''un seul Dieu et Père qui ouvre les bras à ses enfants, à tous ses enfants, qu''ils arrivent du Nord ou du Midi, de l''Orient ou de l''Occident.
Ainsi soit-il,
Lyon, Institution des Chartreux, le 18 octobre 2003
NDLR : Les 2 lyonnais célèbres évoqués par le Père Beaupère sont respectivement Antoine de Saint-Exupéry, et l''Abbé Paul Couturier.
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