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Prédication par le pasteur Flemming Fleinert-Jensen

Ci-après la prédication donnée par le pasteur Flemming Fleinert-Jensen à l''église Notre Dame à Versailles, le 22 janvier 2004, au cours d''une célébration pendant la Semaine de Prière pour l''Unité 2004.

 

Ephésiens 2, 13-17

Cette prédication portera sur le passage de l’épître aux Ephésiens que nous venons d’entendre en première lecture, passage qui se réfère à la première grande crise au sein de l’Eglise naissante : comment faire pour que les chrétiens d’origine juive puissent cohabiter avec les chrétiens d’origine païenne ? 

Pour prendre la mesure du problème, il faut se rappeler que les premiers chrétiens étaient juifs et se sentaient complètement juifs. Pour eux, il était évident d’observer les rites et les règles de vie fondamentales contenus dans la Torah, notamment la circoncision et les prescriptions alimentaires. D’où, par exemple, la difficulté de partager les repas avec des frères et des sœurs dans le Seigneur pour qui la différence entre aliments purs et impurs ne comptait pas. Leur problème était donc le suivant : comment devenir chrétien sans perdre son identité juive ?

Pour les autres, le problème était le contraire : comment devenir chrétien sans devenir juif ? Paul, l’apôtre, s’est battu pour que les convertis de culture gréco-romaine ne soient pas obligés de suivre les prescriptions religieuses propres au judaïsme – et il l’a emporté face aux missionnaires judéo-chrétiens qui voulaient imposer la Torah, au moins dans ses grandes lignes, à tous les chrétiens. L’importance historique de Paul est donc d’avoir empêché le christianisme de demeurer un mouvement purement juif qui se serait éteint à petit feu après la conquête de Jérusalem et l’incendie du temple par les légions romaines, en l’an 70.

Que la lettre aux Ephésiens soit écrite avant ou après cette date, que son auteur soit l’apôtre ou quelqu’un de son entourage, notre texte s’adresse aux chrétiens d’origine païenne et il leur rappelle que, par sa mort, le Christ les a unis avec les chrétiens d’origine juive. La question de naissance et de pratiques religieuses n’est plus d’actualité. Les premiers n’ont pas besoin de se sentir inférieurs à cause de leur passé non juif et les seconds, les enfants des promesses de l’alliance, n’ont plus de raisons de se vanter par rapport à qui que ce soit ou de se draper d’un splendide isolement. 

Par la croix, le Christ a détruit le mur qui séparait Israël des autres peuples, les purs des impurs, les circoncis des incirconcis, et, au lieu de l’inimitié, il a instauré la paix. Par la croix, il a annulé (Chouraqui) ou aboli (TOB) les ordonnances de la Loi – le texte grec utilise ici le mot « dogmes » – en ce sens qu’elles ont perdu leur force séparatrice ou discriminatoire. Ainsi le Christ a voulu créer un seul homme nouveau, un seul corps, où celui qui est né juif et celui qui est né païen, ensemble, ont reçu une nouvelle identité. Il a réconcilié les deux avec Dieu, il a instauré la paix et de ce qui était divisé, il a fait une unité.

A l’époque, une telle vision a probablement été aussi bouleversante que si l’on disait aujourd’hui que ce qui sépare les grandes familles confessionnelles a finalement été détruit par la mort du Christ, et que l’hostilité et la méfiance qui ont caractérisé leurs rapports pendant des siècles appartiennent maintenant au passé. Or, il faut bien avouer que malgré l’authenticité des liens fraternels qui les unissent, nos Eglises ont du mal à assumer toutes les conséquences d’une telle affirmation. Il n’en reste pas moins que l’Ecriture dépeint la croix du Christ comme dressée au cœur de nos divisions, jugeant ceux qui, avec les pierres du mur de séparation renversé, reconstruisent de nouvelles barrières.

Dans cette perspective, les Eglises sont invitées à reconnaître ouvertement qu’au milieu de leurs différends dogmatiques, la croix s’élève, leur rappelant que l’écart qui les sépare mutuellement est en même temps l’écart qui les sépare du Christ crucifié. Imaginons un instant un cercle avec la croix au milieu et les Eglises dispersées un peu partout dans ce cercle. Il est alors évident que les Eglises ne s’approchent les unes des autres qu’au fur et à mesure qu’elles s’approchent de la croix et que, inversement, elles s’éloignent les unes des autres au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de la croix.

Mais qu’est-ce que cela signifie que le chemin de la convergence œcuménique passe par la croix ? Parmi les multiples réponses, je voudrais en relever deux :

1) La croix confirme qu’en dépit de sa fragmentation, l’Eglise du Christ demeure une.

2) La croix conduit les Eglises à faire un effort commun pour se concentrer sur le fondamental de la foi chrétienne. 

L’Eglise est une – Ce n’est pas par hasard que ces jours-ci nous parlons de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens et non de la Semaine de prière pour l’unité de l’Eglise. Car l’Eglise en tant que corps terrestre du Christ ressuscité est une. L’Ecriture l’affirme sans ambages. Le Christ n’est pas divisé, de même qu’il n’y a qu’un seul Dieu, Père de tous, et qu’un seul Esprit. L’unité de l’Eglise est donc donnée, préalablement à tout effort humain pour guérir les fractures existantes et promouvoir la pleine communion entre les Eglises. La croix confirme cette conviction, car le Christ a offert sa vie pour tous afin que tous puissent recevoir la vie en abondance. C’est dans ce sens que l’Eglise orthodoxe désigne volontiers la croix comme le « bois vivifiant ». Or à cause des frontières qui empêchent encore la libre circulation entre les Eglises, l’unité de l’Eglise est une unité cachée. C’est pourquoi il faut la croire – et le Credo le dit bien.

Se concentrer sur le fondamental de la foi – Le temps est révolu où il s’agissait de polémiquer les uns contre les autres afin de démontrer que l’autre était dans l’erreur. Ce retournement de perspective ne supprime pas la distance critique, mais celle-ci dépasse de plus en plus les frontières confessionnelles. L’enjeu fondamental qui devrait réunir les communautés chrétiennes dans un effort commun consiste en ceci : comment dire et faire valoir la parole chrétienne de façon crédible ? Comment insérer cette parole dans l’expérience universelle de l’humain sans occulter sa différence ? Comment remplacer un langage répétitif et souvent insipide par un discours qui à la fois accueille et contredit les attentes de nos contemporains ? Comment éviter que les homélies se réduisent à des paraphrases bibliques et les prédications à des explications de texte qui prétendent intéresser tout le monde? 

Les Eglises, clercs et laïcs, sont appelées à relever ce défi ensemble. Il n’est pas question d’estomper les traditions confessionnelles, mais d’inciter chaque Eglise à apporter ce qui lui est propre pour que le fondamental de la foi ne soit pas noyé dans des affirmations générales. Que les chrétiens soient, comme au début, juifs ou non juifs, qu’ils soient, comme aujourd’hui, orthodoxes, catholiques ou issus de la Réforme – leur unité sera toujours une unité différenciée au sein d’une même identité chrétienne. Il est vrai qu’un chrétien appartient forcément à une tradition confessionnelle, mais étant donné ce que notre texte nous apprend sur la force unificatrice de la croix du Christ, il est clair que le plus important n’est pas cette identité confessionnelle, mais l’identité chrétienne tout court. Elle est la plus importante aussi parce que nous faisons partie d’une société en forte mutation où le désarroi spirituel semble s’accroître face à l’affaiblissement partiel des religions et au démantèlement des idéologies, où le nombre de personnes sacrifiées sur l’autel de la logique économique ne cesse d’augmenter. Dans cette situation, nous avons tous besoin d’entendre une parole qui relève d’une autre logique, besoin de côtoyer des hommes et des femmes enracinés dans l’Eglise du Christ, quelle que soit sa dénomination, qui essayent de vivre en conformité avec cette logique au milieu de laquelle une croix est plantée.

Le symbole du mouvement œcuménique est une barque flottant sur la mer. Au milieu de la barque s’élève un mât en forme de croix. Cette image donne à penser que si le mât est cassé, l’unité des chrétiens deviendra aléatoire, la proie des problèmes internes des Eglises et des vents du monde. Si, par contre, le mât reste intact, on est en droit d’attendre que la navigation œcuménique pourra avancer et affermir notre unité.

Flemming Fleinert-Jensen

22 janvier 2004

Eglise Notre-Dame à Versailles

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